Pour les pères synodaux, il s’agit de conduire au Christ, non des couples parfaits mais des couples pauvres, fragiles, malades, loin de la foi ou de l’Eglise - ce qu’en fait, nous sommes tous car le Synode l’a rappelé : la famille parfaite n’existe pas ! Ainsi, ce qui frappe dès le début du rapport est l’approfondissement théologique de ce qui fonde l’évangélisation du mariage et de la famille, une sorte de re-visitation1 de ses fondements missionnaires, et ce, dès le § 1 : y sont soulignés de manière fort synthétique, tout à la fois le dessein de Dieu à la Création pour le couple, promis à une joie immense, véritable source de bonheur, et l’œuvre du Christ qui vient « restaurer » le couple dans ce qu’il est appelé à vivre : l’exultation des Origines. Accueillir la puissance du Christ dans son couple et sa famille, c’est lui permettre d’accéder à cette expérience bienheureuse inscrite dans ses « gênes » pourrait-on dire. C’est pourquoi le Synode insiste pour affirmer que l’Evangile de la famille est une vraie Bonne Nouvelle pour le monde, bien au-delà de la sphère des pratiquants, des baptisés, de ceux qui sont dans la ‘norme’. Au regard de la situation si éprouvante et douloureuse de tant de familles de par le monde (cf. toute la partie I), le rapport souligne combien aujourd’hui « la famille est un sujet essentiel pour l’évangélisation ».
La partie II (§ 35 et ss) développe combien le mariage chrétien est une véritable « vocation fondée dès le début dans le Christ Sauveur » car « il restaure le plan originel de Dieu sur le mariage, enrichit l’alliance du mariage, guérit le cœur humain, lui (re)donne sa capacité d’aimer », ce qui « est source de beaucoup de grâces : la fécondité, le témoignage, la guérison et le pardon ». Il conduit ainsi le couple marié à vivre comme « un reflet de la Trinité », communion intense des personnes divines dans l’amour.
Volet innovant de ce rapport - comme une reprise de la catéchèse de Saint Jean-Paul II à partir de Mt 19, 11 sur le « don » du Christ fait aux époux - est soulignée la force du sacrement de mariage qui « consacre la relation conjugale indissoluble entre mari et femme », faisant ainsi de cette « indissolubilité, non un joug imposé mais comme un don, un cadeau » pour les époux : il répond « au désir profond de l’amour mutuel et durable que le Créateur a placé dans le cœur humain ». En reprenant les propos du pape, le Synode souligne combien cette approche est à la fois « élevée et révolutionnaire, et en même temps simple, abordable pour chaque homme et chaque femme qui comptent sur la grâce de Dieu » (§ 48).
Ainsi, le Synode s’est employé à souligner combien l’expérience conjugale vécue avec le Christ répond aux attentes existentielles de tout couple et porte de beaux fruits, concrets, tangibles dans la vie des familles. C’est en cela qu’elle est attractive pour tous. Voilà pourquoi ce rapport insiste autant sur le rôle missionnaire des couples et des familles : s’ils vivent une telle expérience, ils seront inévitablement évangélisateurs.
C’est une des vraies nouveautés de ce synode, non pas sur un registre théologique, ni simplement pastoral mais aussi spirituel (§ 69, 70) : plutôt que d’asséner des vérités des dogmes ou de se contenter de simples sentiments compassionnels, il s’agit d’annoncer et de témoigner combien « le sacrement du mariage » est effectivement « une grande grâce » agissante, fructueuse, opérante, … et non une doctrine lointaine et inutile. Tous, souligne le rapport, et en premier lieu les couples, ont « le devoir et la joie d’annoncer urgemment cette grâce » sans réserve, de la découvrir et de faire « redécouvrir comment la grâce de Dieu fonctionne dans leur vie », même dans « les moments les plus difficiles ». Le Synode nous dit en d’autres termes : plutôt que de marteler de belles théories, attestez, témoignez, … auprès de tous, particulièrement auprès des couples qui veulent s’aimer, réussir leur couple, mais n’y arrivent pas, sont éprouvés. Annoncez combien la grâce de Dieu agit, opère, guérit, unit, conduit dans le mariage soutenu par la puissance du sacrement.
Le Synode invite donc l’Eglise à voir dans toutes les configurations de familles ‘non conformes’ des « situations à traiter de manière constructive, en essayant de les transformer en opportunités, en chemin de conversion vers la plénitude du mariage et de la famille à la lumière de l’Evangile ». Poser un regard différent sur toute situation pour y voir une opportunité, un tremplin, un levier missionnaire, c’est voir avant tout des « plus », là où l’on voyait surtout des « moins ». Un pape, deux synodes sont passés par là !
Des § 77 au § 80, le Synode a travaillé sur des propositions concrètes afin d’incarner la miséricorde, pour transformer paroisses et diocèses en véritables « hôpitaux de campagne » si chers au pape, mais plus spécifiquement à l’adresse des couples et des familles : par exemple dans la qualité de l’accueil, l’assistance, la mise en place de service de médiation ou d’accompagnement de couples en difficultés, de familles en souffrance, etc. Manifester l’attention de l’Eglise par des témoignages d’amour, d’amitié, de compassion, en proposant un soutien et psychologique et spirituel, tant pour prévenir les blessures et les souffrances que pour tenter de les guérir : « apprendre à prendre soin de chaque famille, avec une attention particulière à l’égard de ceux qui vivent des difficultés », développer de vrais « ministères dédiés » à cette mission, créer des « centres spécialisés » dans les diocèses rattachés aux services de pastorale familiale, etc. Le Synode insiste sur la nécessité d’une double approche, à la fois humaine et spirituelle, qui grâce à l’action de l’Esprit-Saint, permet de « surmonter de manière pertinente une grande part des crises conjugales » car l’Esprit-Saint est source d’amour et de vérité, de pardon et de réconciliation, de dissipation de malentendus …face à tant d’occasions de crises conjugales dans les sociétés contemporaines. Plus douloureux que toutes les crises, le Synode invite les couples éprouvés par un adultère à ce double travail humain et spirituel en vue « de la réparation et de la guérison » de l’infidélité, ce qui est « crucial » pour guérir cette blessure si profonde dans le pacte conjugal ; il enjoint également la pastorale familiale à traiter et aborder ces situations si lourdes et douloureuses.
Au regard de ce qui précède, il n’est donc pas étonnant que le rapport du Synode appelle à une réelle mobilisation missionnaire envers la famille : « la famille, dans sa vocation et sa mission, est un véritable trésor de l’Église », trésor pourtant particulièrement fragile, que, citant saint Paul (2 Co 4,7), « nous portons dans des vases d’argile » : aucune famille ne peut en effet éviter « le mystère de la croix », mais par la foi vécue ensemble, il est possible de « transformer les difficultés et les souffrances dans une offrande d’amour ». D’où la nécessité que couple et famille soient évangélisés en profondeur. Le Synode achève par le rappel de cette évidence : toute prétention à évangéliser ne peut d’abord se comprendre que par sa propre évangélisation initiale. « Si la famille chrétienne veut être fidèle à sa mission, elle aura à bien comprendre d’où elle vient : elle ne peut évangéliser sans être d’abord évangélisée ». D’où l’importance de « former les jeunes et les couples à prendre conscience de leur mission d’évangélisation de leur propre famille ».
Plus largement, le synode rappelle - de la même manière que tout baptisé est appelé à devenir un disciple-missionnaire, comme aime à le souligner le pape – qu’« une famille de baptisés est missionnaire par nature et sa foi augmente si elle la partage à d’autres ». L’évangélisation n’est donc pas ‘optionnelle’ pour un couple, et elle a de plus un immense bénéfice : être un levier de foi pour toute la famille. Cela rejoint l’enseignement sur l’évangélisation depuis 40 ans, mais pour la première fois cet aspect s’applique explicitement au couple et à la famille comme acteur missionnaire (c’est effectivement ce que nous constatons chez la grande majorité des couples engagés dans l’évangélisation : le 1er bénéficiaire, comme par boomerang, est la famille elle-même).
Le Synode souligne également combien cette évangélisation doit s’appuyer, comme toute évangélisation, sur « la proclamation explicite de l’Évangile ». Sont citées aors comme priorités missionnaires : le témoignage comme couple, la préparation des couples au mariage, l’accompagnement des couples en difficulté, l’évangélisation des jeunes sur la vie affective et le mariage, la capacité de créer de petites communautés de familles témoins de la foi, l’accompagnement de familles pour vivre en chrétien et évangéliser leurs enfants, l’investissement dans les medias ou les réseaux sociaux, et bien entendu la mission « ad gentes », c’est-à-dire l’évangélisation auprès de ceux qui ne connaissent pas ou plus la foi chrétienne.
Ce synode, comme le reconnaissait le Cardinal Lacroix (Archevêque du Québec), commence réellement maintenant : il s’agit de se mettre au travail sur le terrain de nos églises diocésaines et paroissiales, en commençant par mettre les familles chrétiennes en « état de mission permanente » car il y a urgence !
Alex et Maud Lauriot Prevost
Note
1 Re-visitation dans le double sens de ‘nouveauté’ qui peut faire référence à l’expérience actuelle de ‘nouvelle évangélisation’ dans l’Eglise, mais aussi de visitation de l’Esprit-Saint, comme il le fit de manière surprenante et puissante lors de la rencontre de Marie et d’Elizabeth
Note concernant les divorcés-remariés
Difficile de ne pas en dire deux mots tant ce thème a fait la « une » des médias depuis 2 ans : si le pape suit les recommandations du Synode, l’Eglise pourrait se doter d’une procédure officielle pour autoriser, sous réserve d’un discernement précis et à partir de critères communs à tous, l’accès aux sacrements de la réconciliation et de l’eucharistie pour certains d’entre eux. C’est ce qui se pratique de fait dans de nombreuses paroisses, mais selon une appréciation assez personnelle des prêtres, sans cadre pastoral commun ou référence claire au magistère sur ce point. Puisque tous les cas ne peuvent être prévus dans la doctrine, et que la logique spirituelle peut primer en certains cas sur la lettre (« le sabbat a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le sabbat , Mc 2, 28), réaffirmer la ‘loi’ intangible de l’indissolubilité du mariage n’est pas évangéliquement contradictoire avec certaines exceptions aux dispositions canoniques, si l’on procède avec discernement, au cas par cas, sans pour autant que celui-ci s’opère de manière subjective.